=== Introduction === La plupart des réfrigérateurs sur le marché fonctionnent grâce au processus thermodynamique de compression de vapeur. Dans ces réfrigérateurs, un fluide frigorigène effectue un cycle frigorifique à partir de compressions, détentes, condensations et évaporations qui modifient son état. De l'énergie mécanique est ainsi fournie au fluide qui par ses propriétés thermodynamiques réagit en faisant varier sa température (le fluide réfrigérant refroidit l'intérieur du réfrigérateur et réchauffe l'extérieur). Cependant, les fluides firgorigènes utilisés sont généralement des gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement climatique et par le passé à la déplétion de la couche d'ozone. Les réfrigérateurs étant nécessaires dans notre vie quotidienne, il est légitime de chercher à développer d'autres moyens de faire des réfrigérateurs efficaces, mais ayant un impact moindre sur l'environnement. [Zhong Jian Xie, autres sources sur l'impact environnemental] Le caoutchouc naturel est un matériau élastocalorique qui pourrait être utilisé pour effectuer des cycles frigorifiques de réfrigérateurs à la place des fluides traditionnels. Les matériaux élastocaloriques tels que le caoutchouc sont des solides dont la température varie sous l'application et la libération d'une contrainte mécanique : tendus, leur température augmente adiabatiquement, et lorsque l'on relâche la contrainte, ils se refroidissent aussi adiabatiquement. L'effet est connu depuis le 19ème siècle, il a aussi été récemment étudié comme alternative attrayante aux machines frigorifiques actuelles [Zhong Jian Xie]. Malgré cela, en dehors de prototypes et de preuves de concept, aucun système de réfrigération élastocalorique efficace utilisant le caoutchouc n'a été réalisé et rendu public. Il existe d'autres matériaux élastocaloriques et d'autres effets induisant un effet calorique, mais l'effet élastocalorique du caoutchouc semble être le plus intéressant et le plus abordables en terme de moyens techniques et financiers. En 2016, Ben Krasnow, de la chaîne Youtube "Applied Science", a publié une vidéo dans laquelle il présente un prototype simple de réfrigérateur qu'il a réalisé avec des élastiques en caoutchouc en guise de matériau réfrigérant[source lien vidéo]. Le prototype n'est pas construit pour être efficace, c'est surtout une preuve de principe. Par ailleurs, avec les informations fournies par sa vidéo on ne peut pas nous-mêmes déterminer précisément s'il est efficace ou non, pour différentes raisons, dont les imprécisions de mesures font partie. C'est malgré tout la seule réalisation que nous avons pu trouver. Étant donné la vraisemblable reproductibilité de ce système, nous avons décidé de créer notre réfrigérateur en utilisant les principes de sa machine visibles dans la vidéo. Nous avons alors étudié les points qui faisaient défaut à son prototype pour pouvoir l'améliorer et en parallèle nous avons étudié théoriquement et expérimentalement la capacité élastocalorique d'élastiques. L'objectif était alors de créer un réfrigérateur à élastiques en caoutchouc de manière la plus optimale possible avec les moyens qui étaient à notre disposition, pour pouvoir conclure sur la possibilité de créer, à un niveau licence, un réfrigérateur à élastiques générant une variation de température au moins décelable. === Partie 1 : fonctionnement d'un élastique === Pour comprendre l’échauffement observé lors de la tension d’un élastique, nous allons ici expliquer le fonctionnement des matériaux élastiques en prenant l’exemple du caoutchouc naturel, un élastomère bien connu. Le caoutchouc naturel est un réseau de polymères du composant organique à squelette linéaire, l’isoprène (C5H8). Articulés autour des liaisons carbone de l’isoprène, ces polymères sont très longs et très flexibles. D’un point de vue statistique, beaucoup de conformations différentes sont donc possibles. On peut modéliser un polymère de ce type par une chaîne idéale (une suite de segments rigides, les maillons, pivotant librement l’un sur l’autre) car les maillons de la chaîne n’interagissent quasiment pas entre eux : la probabilité que le nième maillon de la chaîne (à partir d’un maillon n=1 de référence) soit à une distance r du maillon 1 suit une loi gaussienne. Il résulte de ce modèle que plus les deux extrémités de la chaîne sont proches l’une de l’autre, plus le nombre de conformations possibles est élevé. On peut s’en convaincre intuitivement en considérant une chaîne de 5 maillons (chacun de longueur a) fixée à ses extrémités. Si on rapproche les deux extrémités jusqu’à une distance d=a, il y a 10 conformations possibles de la chaîne. À d=3a, il n’y en a plus que 5 et à d=5a, une seule. En étirant la chaîne, on a donc réduit le nombre de micro-états accessibles : on a diminué son entropie. Un élastomère au repos à une température non nulle est donc dans un état d’entropie maximale ; sous l’effet de l’agitation thermique, les polymères qui le composent vont couvrir toutes les conformations qui leur sont accessibles. Lorsqu’on l’étire, le nombre de conformations possibles va drastiquement diminuer. Dans le modèle de la chaîne idéale, chaque conformation a la même énergie car on suppose que les maillons pivotent parfaitement l’un sur l’autre : l’énergie interne de la chaîne, et donc de l’élastomère, est constante. Seule l’entropie diminuera sous l’effet de l’étirement. Si on relâche la contrainte pour isoler le système, le second principe va alors s’appliquer, et le système va tendre vers un état d’entropie maximale, c’est-à-dire l’état au repos initial. La force de rappel de l’élastique est donc de nature bien différente de celle d’un ressort : elle est d’origine purement entropique. Maintenant que ce point est éclairci, on comprend l’aspect contre-intuitif du phénomène étudié. Lorsqu’on compresse un matériau quelconque non élastique (ressort, gaz…), on s’attend à ce qu’il emmagasine de l’énergie et donc qu’il chauffe : ici c’est l’inverse ! L’erreur était d’assimiler inconsciemment la force de rappel de l’élastique à une force mécanique. Ainsi, en étirant un élastique, on fournit un travail qui va être restitué sous forme d’énergie cinétique par liaisons entre monomères, qui vont donc libérer de la chaleur. Pour décrire le comportement élastique d’un matériau quelconque, on utilise habituellement la loi de Hooke, qui relie proportionnellement la contrainte σ appliquée au matériau à sa déformation ε par l’intermédiaire du module d’Young E. Dans le cas des élastomères, cette loi est peu efficace car elle ne tient pas compte de la diminution d’entropie mise en évidence ci-dessus. Avec le modèle entropique passant par celui de la chaîne idéale, on trouve une dépendance linéaire du module d’Young avec la température. Ce modèle est bien plus efficace pour rendre compte du fonctionnement des élastomères. Cependant, lorsque la contrainte appliquée est élevée et qu’on atteint des élongations de plusieurs fois la longueur à vide, le modèle ne suffit plus à prédire précisément l’évolution de la déformation. En fait, d’autres effets, d’origines très différentes, vont intervenir plus ou moins intensément à différentes élongations, ce qui rend une étude globale du comportement des élastiques très complexe. Nous allons ici tenter d’exposer le principe et l’origine de certains de ces effets. En réalité, les élastomères comme le caoutchouc naturel sont fabriqués à partir d’un procédé appelé vulcanisation : on utilise une réaction chimique à haute température utilisant la plupart du temps du soufre, lequel va créer des ponts moléculaires (phénomène de réticulation) entre les chaînes de polymère, afin d’accroître la résistance du matériau. D’où la formation d’un réseau. Dans le modèle de la chaîne idéale, on a choisi d’ignorer leur contribution entropique en les considérant fixes dans l’espace et se déformant linéairement avec la contrainte imposée. Cependant il a récemment été mis en évidence, grâce aux travaux de Xiangjun Xing et al., que cette supposition empêchait de prendre en compte la contribution entropique non négligeable associée aux fluctuations thermiques de la position des ponts moléculaires. De plus cette contribution dépend fortement de la déformation macroscopique. En effet, le caoutchouc étant quasiment incompressible, il doit préserver localement son volume lorsqu’une déformation macroscopique lui est imposée. Ce phénomène se traduit par des fluctuations de phonons au sein du matériau. D’où une large contribution entropique qui, lorsqu’elle est prise en compte, permet d’être bien plus en accord avec l’expérience que le modèle de la chaîne. Une autre supposition du modèle entropique est que l’entropie totale du matériau est égale à la somme des entropies associées à chaque chaîne idéale : il faut pour cela que les chaînes n’interagissent pas entre elles. Or, du fait de la réticulation, les polymères sont rattachés par endroits à leurs voisins et vont avoir plus de chance de s’emmêler les uns aux autres. Ainsi, le mouvement d’une chaîne va impliquer le mouvement des chaînes voisines, et elle-même va être limitée dans ses conformations par la proximité des autres chaînes. On appelle ce phénomène l’enchevêtrement. Le mouvement des chaînes, ralenti par leur enchevêtrement, est décrit par le modèle de la reptation, développé par Pierre-Gilles de Gennes. Il permet de prévoir la dynamique des chaînes serpentant les unes entre les autres et explique ainsi la dépendance de leur mouvement avec leur longueur. En effet, plus une chaîne est longue, plus elle a de chance de s’emmêler aux autres. D’autres modèles plus précis ont depuis vu le jour mais son principe, utilisant le modèle du tube (un tube fictif centré autour de la position moyenne de la chaîne étudiée, délimitant la zone où celle-ci peut évoluer jusqu'à ce qu’elle rencontre une contrainte due aux chaînes voisines) reste un des plus utilisés. Ces nouveaux modèles (Edwards-Vilgis slip-link model, Heinrich-Straube tube theory) permettent de décrire entièrement le comportement des élastomères sous l’effet d’une contrainte, avec des résultats très en accord avec l’expérience. En particulier, ces modèles fondés sur les effets d’enchevêtrement comme celui d’Edwards-Vilgis prennent aussi nécessairement en compte l’inextensibilité des chaînes. En effet, afin d’utiliser le modèle de la chaîne idéale, on a supposé en réalité que les polymères étaient très loin de leur allongement maximal. Dans un régime de fortes contraintes, ce n’est pas toujours le cas. Ainsi on ne peut plus utiliser une loi gaussienne pour décrire l’allongement de la chaîne. Une des alternatives les plus connues à ce problème est le modèle d’Ogden, que nous ne présenterons pas ici. Même à l’échelle de notre expérience utilisant des déformations cycliques d’élastiques, nous avons pu constater que les élastomères ne se comportent pas de la même manière lors de la première déformation et lors des suivantes. Or le modèle de la chaîne idéale supposait une énergie interne du matériau constante et donc une réversibilité totale de la déformation. Malheureusement pour les industries qui utilisent des élastomères, ce n’est pas le cas et les effets irréversibles ayant lieu dans les différents types d’élastomères doivent absolument être pris en compte afin de les rentabiliser au mieux. L’effet irréversible le plus connu, appelé effet Mullins, fait encore aujourd’hui l’objet d’un grand nombre d’études, du fait de ses causes et de ses conséquences multiples qui dépendent fortement du type d’élastomère utilisé. Il s’agit en général d’un adoucissement en fatigue de la courbe contrainte-déformation lorsque l’élastique est étiré au-dessus son dernier étirement maximal. Dès le deuxième étirement, on peut obtenir la même déformation que précédemment avec une force moindre. Aucun consensus n’existe encore quant à sa ou ses causes principales. Une donnée néanmoins intéressante est qu’il a lieu, en ce qui concerne les élastomères purs, toujours en parallèle avec un autre phénomène appelé cristallisation.