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L’imidaclopride, autorisé depuis 1991 et connu sous le nom commerciale de « Gaucho », et l’un des premiers insecticide de la famille des néonicotinoïdes.
L’imidaclopride, de par sa spécificité envers les insectes, a un mode d’activité bien différent de celui des insecticides classiques. En effet, il se fixe sur le récepteur nicotinique et stoppe l’influx nerveux, il a donc un effet sur les nerfs et les muscles des insectes. Son impact négatif sur la santé des insectes est donc relativement bien connu.
En France, l’introduction massive des néonicotinoïdes dans les années 90 à mené à leur interdiction d’usage en 2018 grâce à la Loi sur le fondement de la biodiversité, de la nature et des paysages.(1)
Cependant, une loi adoptée le 8 juillet 2025 par l’Assemblée nationale, prévoit d'autoriser à nouveau l’usage encadré d’un néonicotinoïde : l’acétamipride. Il s’agit de la Loi Duplomb, une loi qui, selon les chercheurs, est considérée comme une aberration scientifique. Du temps où il était autorisé, l’imidaclopride faisait partie des insecticides grandement retrouvés dans les réseaux d’eaux urbaines. Son impact sur la flore aquatique étant peu connu, et la réintroduction des néonicotinoïdes étant probable d’avoir lieu au vu du contexte politique, nous trouvons plus que nécessaire de s’intéresser et de nous questionner à ce sujet.
C’est pourquoi à travers cette étude, nous tenterons de déterminer si l'imidaclopride pourrait impacter d’une manière quelconque la flore aquatique.
Nous baserons notre étude sur un modèle algal : la diatomée. Ces microalgues unicellulaires appartenant au groupe des Bacillariophyta sont ubiquitaires dans les milieux aquatiques, aussi bien dulçaquicoles que marins, et sont connues pour leur sensibilité aux variations physico-chimiques de l’eau. En raison de cette sensibilité, elles sont considérées comme d’excellentes bioindicatrices de la qualité des écosystèmes aquatiques.
En effet, une étude de Pérès et al. (1995) (2) a évalué les effets toxiques des métaux lourds ( mercure et cadmium) sur les communautés de diatomées périphytiques. Les résultats de cette étude ont montré que ces organismes réagissent rapidement aux contaminants.
Par ailleurs, une autre étude effectuée par Bertrand et al. (2003) (3) a mis en évidence une forte plasticité morphologique en réponse à des perturbations hydrodynamiques anthropiques, confirmant qu'elles constituent de très bons indicateurs de la qualité écologique des milieux aquatiques. Afin de répondre à notre problématique, nous avons mis en place une expérimentation sur des prélèvements d’eau stagnante réalisés au Jardin de l’école botanique du Jardin des Plantes de Paris.
L’objectif étant d’évaluer l’effet de cet insecticide néonicotinoïde sur la prolifération des diatomées. Pour étudier la réponse de ces microorganismes à l’imidaclopride, nous avons réparti nos échantillons initiaux en plusieurs sous-échantillons afin d’obtenir plusieurs réplicats pour chaque condition expérimentale. Nous avons ainsi établi quatre conditions distinctes : un témoin sans imidaclopride et trois traitements contenant respectivement une faible, une moyenne et une forte concentration d’insecticide. Les suspensions de diatomées ont ensuite été placées pendant deux semaines dans des conditions de culture les plus favorables (lumière et oxygénation suffisantes) afin de permettre leur développement optimal. À l’issue de cette période, le nombre de diatomées présentes dans chaque suspension sera quantifié à l’aide de cellules de comptage afin d’évaluer si la présence d’imidaclopride entraîne ou non une diminution significative de la prolifération des individus par rapport à la condition témoin.
Nous posons alors les hypothèses suivantes :
- H0 : la présence d’imidaclopride n’a pas d'impact négatif sur la prolifération des diatomées; aucune différence significative du nombre de diatomées n’est observée entre les échantillons traités et le témoin.
-H1 : la présence d’imidaclopride a un impact négatif sur la prolifération des diatomées et cet effet est dose dépendant ; on observe une diminution significative du nombre de diatomées dans les échantillons exposés à l’imidaclopride, proportionnelle à la concentration de l’insecticide.
I/- Matériel et méthodes
Comme indiqué ultérieurement , les diatomées représentent le matériel biologique utilisé dans le cadre de notre expérimentation.
Pour évaluer l’impact de l’imidaclopride sur la flore aquatique, nous avons donc prélevé des diatomées dans les mares du Jardin des Plantes. À défaut de filet à plancton, nous avons utilisé des filtres à café.
Après avoir récolté une quantité suffisante de diatomées pour considérer notre échantillon comme exploitable pour l’étude, nous les avons placées dans des conditions favorables à leur développement, soit, une température de 24 °C et une exposition lumineuse à hauteur de 8h par jour, assurée par des lampes LED.
L’échantillon a été maintenu dans ces conditions pendant deux semaines, le temps de permettre la croissance stable de la population avant l’ajout des solutions d’imidaclopride et la mise en place de la suite des expériences.
Une fois l'imidaclopride reçu, nous avons préparé une solution mère d’imidaclopride à partir de 10E-1 g de poudre d’imidaclopride dissous dans 1L d’eau distillée, afin d’obtenir une concentration finale Cm= 0,1 g·L⁻¹.
En parallèle, nous avons estimé la concentration initiale en diatomées présente dans nos échantillons à T=0 . Pour cela,nous avons prélevé une microgoutte dans la suspension mère et l’avons observée pour obtenir une approximation de la densité de diatomée présentes initialement . Nous avons considéré cette goutte comme représentative de l’ensemble des réplicats, puisque celles-ci provenaient d’un même prélèvement préalablement homogénéisé.
L'idéal aurait été de procéder à un comptage initial (t0) pour chaque réplicat respectifs, afin d’obtenir des résultats plus rigoureux. Mais par manque de temps nous avons dû procéder à un comptage unique qui a servi de référence pour toutes les conditions expérimentales.
Pour procéder au comptage, nous nous sommes munies d’hématimètres de type Malassez. Il s'agit d'une lame de verre sur laquelle un quadrillage de 100 rectangles (10x10) contenant eux-mêmes 20 petits carrés, a été gravé. La cellule de Malassez est utilisé pour estimer le nombre de cellules présentent dans un échantillon, en ne comptant qu’une partie des 100 rectangles, et en appliquant la formule mathématique suivante (Figure 1):
Figure 1 - Formule mathématique d’estimation d’un nombre de cellules par unité de volume sur cellule de Malassez (4)
Ainsi, nous avons dénombré un total 4 diatomées par µL de solution mère.
NB: les diatomées, bien que unicellulaire, sont des organismes de grande taille, certains spécimens peuvent mesurer jusqu’à 500µm. Nous avons ainsi remarqué que certaines diatomées dépassaient du périmètre de comptage (Fig 1.2).C’est pourquoi, il aurait été plus judicieux d’utiliser des cellules de comptage de type Nageotte, comportant des unités de comptage avec un périmètres plus élevé. Faute de moyens, nous n’avons pas pu nous en procurer, c’est pourquoi nous avons procédé au comptage sur des cellules de Malassez.
Fig 2 - Observation de la solution mère au microscope photonique
Une fois le comptage dans l’échantillon initial terminé et la densité de diatomées déterminée, l’eau contenant ces dernières a été répartie dans 20 microtubes Eppendorf de 2 mL, correspondant à cinq réplicats pour chacune des quatre conditions expérimentales :
- Contrôle (sans imidaclopride) (C1,C2,C3,C4,C5)
- Faible concentration (10⁻⁴ g·L⁻¹) (F1,F2,F3,F4,F5)
- Moyenne concentration (10⁻³ g·L⁻¹) (M1,M2,M3,M4,M5)
- Grande concentration (10⁻² g·L⁻¹) (G1,G2,G3,G4,G5)
Les concentrations étant trop faibles pour être obtenues directement à partir de la solution mère, des dilutions successives ont été réalisées :
Figure 3 - schéma représentant le protocole des dilutions successives effectuées
- 100 µL de la solution mère ont été dilués dans 900 µL de suspension de diatomées pour obtenir la solution “forte”(10⁻² g·L⁻¹).
- 100 µL de cette solution ont ensuite été prélevés et dilués à nouveau dans 900 µL de diatomées pour obtenir la solution “moyenne” (10⁻³ g·L⁻¹).
- Enfin, une nouvelle dilution identique a permis d’obtenir la solution “faible” (10⁻⁴ g·L⁻¹).
- La condition contrôle ne contient que la suspension de diatomées sans ajout d’imidaclopride.
Les microtubes ont ensuite été replacés dans leurs conditions optimales de croissance (température ambiante et exposition à la lumière en journée) pendant six jours, avant d’effectuer le comptage final.
À l’issue de ces six jours, nous réalisons le dénombrement final correspondant au temps T = 1. Après un vortexage préalable, nous prélevons 10 µL de la solution d’un réplica, que nous déposons sur une cellule de Malassez. Nous comptons alors le nombre de diatomées par rectangle, en sélectionnant aléatoirement 10 rectangles parmi les 100 que comporte la lame. La densité finale en diatomées est ensuite calculée à l’aide de la formule mathématique présentée en Fig. 1.1, appliquée séparément à chaque réplica.
Exemple d’application de la formule (réplica F1) :
N= (15)/(10*(10*10^-3))=150 Diatomées/mL
Avec : n = 15; a= 10 et v= 10*10^-3 mL
NB : La solution mère ayant déjà été diluée, les réplicats n’ont pas été dilués pour le comptage. Ainsi, le facteur de dilution, bien que présent dans la formule générale, n’intervient pas ici dans l’application numérique.
Les valeurs obtenues pour chaque réplica sont rassemblées sous forme d’un tableau fourni en annexe (Fig. 3).
NB: Afin de limiter les biais expérimentaux, l’ensemble du comptage a été réalisé en aveugle : la personne chargée du dénombrement ne connaissait jamais la condition correspondant à l’échantillon analysé.
II /-Résultats
Figure 4 – Boîte à moustache représentant la densité de diatomées (Cellule/mL) à Tfinal (=T1) en fonction des concentrations croissantes en toxine (imidaclopride) Nul,Faible,Moyenne et Forte.
Les astérisques indiquent les niveaux de significativité et les barres d’erreur indiquent l’écart-type.
Les différences significatives entre les groupes ont été évaluées à l’aide d’un modèle de régression de Poisson.
Le modèle est significatif (χ²(3) = 4119.8, p < 0.001), indiquant que la concentration croissante en imidaclopride influence négativement la prolifération des diatomées.
Par rapport au contrôle, la densité moyenne est divisée par environ 3, 6 et 10 pour les concentrations faibles, moyenne et forte respectivement.
III/- Discussion
Nos résultats montrent une tendance claire et significative: plus la concentration en imidaclopride augmente, plus le nombre de diatomées diminue.
Cette tendance dose-dépendante suggère donc que l’imidaclopride a un effet inhibiteur sur la prolifération des diatomées.
Cependant, les limites de notre dispositif expérimental nous invite tout de même à nuancer cette conclusion.
En effet, plusieurs aspects de ce dispositif ont pu influencer nos résultats.
Tout d’abord, contrairement à des travaux comme ceux de Pérès et al. (1995) qui suivent la prolifération d’espèces de diatomées préalablement identifiées, notre étude quantifie l’abondance des diatomées sans faire de distinction taxonomique. Sachant qu’il existe environ 20 000 espèces de diatomées différentes et que chaque espèce dispose de besoins spécifiques se développer, la non-identification de nos diatomées constitue une limite non-négligeable. Certaines espèces peuvent être tolérantes voir même favorisées, pendant que d’autres se montreraient sensibles à l’imidaclopride. Il nous est donc impossible de savoir si toutes les espèces présentes dans nos échantillons ont proliféré de la même façon.
Une deuxième limite importante est la simplification des conditions expérimentales. Nos diatomées ont été cultivées dans un milieu très différent de leur environnement naturel. Les potentielles intéractions écologiques de types symbiotiques n’ont donc pas pu être simulées.
Enfin, il faut prendre en compte les biais d'échantillonnage mais aussi de comptage. Nous avons prélevé nos diatomées sans matériel spécialisé, à l’aide de filtres à café. En effet, l’utilisation d’un filet à plancton nous aurait permis de nous affranchir de la présence d’espèces indésirables, potentiellement consommatrices de diatomées, contenues dans nos réplicas (Fig.4).
De plus, les cellules de comptage de type Malassez que nous avons utilisées n’étaient pas les plus adaptées dans notre cas, comme énoncé précédemment, des cellules de types nageottes nous auraient permis de procéder à un dénombrement plus précis . Ces facteurs externes ne nous permettent donc pas d’établir avec certitude un lien de causalité direct entre l’imidaclopride en lui- même et la prolifération des diatomées.
Par ailleurs, ces biais d'échantillonnage sont en accord avec la littérature. En effet,
une étude menée par Tânia et al. (5) sur plusieurs communautés naturelles de diatomées (article Testing the response of benthic diatom assemblages…) où l’impact de différents contaminants a été testé met en évidence une réduction de la croissance des diatomées, mais avec une sensibilité très variable selon les espèces pour plusieurs composés chimiques, dont l’imidaclopride. Ces résultats suggèrent que la réponse des diatomées à l’imidaclopride dépend fortement de la composition spécifique de la communauté et de la sensibilité propre à chaque taxon.
IV/Conclusion:
Pour conclure, notre étude nous a permis de voir que l’imidaclopride impactait négativement les populations de diatomées dans nos conditions expérimentales. Mais l’ensemble de nos données ne nous permettent pas de conclure sur un impact négatif de l’insecticide en milieu naturel sur l'ensemble des espèces de diatomées, et ne nous ne pouvons donc pas conclure sur l’impact de l’imidaclopride sur l'ensemble de la flore aquatique.
Bibliographie
- Brossel, V. (2025, mai 21). Chronologie de l’arrivée des néonicotinoïdes et des actions de l’UNAF en France. UNAF. https://www.unaf-apiculture.info/chronologie-de-l-arrivee-des-neonicotinoides-et-des-actions-de-l-unaf-en-france/
- Pérès, F et al. “EFFETS DES MÉTAUX LOURDS (Cd, Hg) SUR LES COMMUNAUTÉS DE DIATOMÉES PÉRIPHYTIQUES DÉVELOPPÉES SUR SUBSTRATS ARTIFICIELS EN MICROCOSMES Effects of Heavy Metals (Cd, Hg) on Periphytic Diatom Communities Using Artificial Substrates in Microcosms. ” Vie et milieu (1980) (1995): 219–230 https://hal.sorbonne-universite.fr/hal-03052005v1/file/VOLUME_1995_45_fasc3-4_06_p219-230.pdf
- Bertrand, Céline et al. “Une Nouvelle Approche de La Biodiversité : Plasticité Morphologique Chez Une Diatomée d’eau Douce.” Comptes rendus. Biologies 326.1 (2003): 107–120. Web.https://hal.sorbonne-universite.fr/hal-03052005v1/document
- https://pedagogie.ac-montpellier.fr/sites/default/files/ressources/01_cellule_de_malassez.pdf
- Julie Neury-Ormanni. Impact de la saisonnalité et d’une contamination pesticide environnementale sur des relations biotiques entre la micro-méiofaune et les microalgues d’un biofilm d’eau douce. Ecotoxicologie. Université de Bordeaux, 2019. Français. NNT : 2019BORD0343. tel-03091966




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