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Expérience de sciences participatives - Avons nous peur de conserver les grillons ?

Minya Erre, Mattéo Regnard, Nina Sacco, Hugo Tichit, Amy Weisenfeld 

Encadrant : Julien Gasparini MUBEB02 - Février 2024

Malgré l’importance des insectes dans le monde et dans le fonctionnement des écosystèmes, le déclin global de ce groupe ne se questionne plus. Que ce soit par le changement climatique, la perte et la fragmentation d’habitat ou encore l’agriculture, la diversité et l’abondance de ces organismes diminuent.  Pourtant,  ils ne constituent que 8% des espèces évaluées par la liste rouge de l’IUCN et les programmes de conservation comme les aires protégées manquent d’efficacité pour leur bonne protection (Chowdury et al., 2023, Hallmann et al., 2017).

Les insectes jouent pourtant des rôles clés et fournissent des services importants aux populations humaines (Cardoso et al, 2011). Cet aspect utilitariste est généralement pris en compte dans le cadre de projets de conservation, mais il arrive que d’autres éléments de nature psychologique puissent influencer le désir de conservation et la propension à payer pour celle-ci. 

En effet, l’empathie ou la compassion peuvent biaiser les efforts mis en place en faveur d’espèces esthétiquement plaisantes ou simplement plus proches des des humains phylogénétiquement, outre les services qu’elles peuvent rendre (Miralles et al., 2019). À l’inverse, des états émotionnels négatifs comme la peur ou le dégoût peuvent desservir la cause de certains organismes, comme cela pourrait être le cas avec les grands carnivores (Notaro et Grilli, 2022).

Les insectes sont particulièrement enclins à déclencher ces états émotionnels négatifs. L'entomophobie, la peur des insectes, est largement répandue, et est généralement  liée à un dégoût pour ces organismes (Fukano et Soga, 2023). Ce facteur psychologique, s’ajoutant au manque de connaissances pourrait ainsi influencer négativement les efforts de conservation mis en place pour ces organismes. 


Aussi, nous avons cherché à savoir si le désir de conservation d’une espèce pouvait être corrélé à l’aversion pour celle-ci, en choisissant un exemple issu du clade des insectes : le grillon domestique Acheta Domesticus.

Matériel :

  • 15 images plastifiées d’espèces de taxons variés : mésange charbonnière (Parus major), castor d’Eurasie (Castor fiber), couleuvre à collier (Natrix helvetica), escargot petit-gris (Cornu aspersum), crabe marbré (Pachygrapsus marmoratus), méduse pélagique (Pelagia noctiluca), crapaud calamite (Epidalea calamita), lombric commun (Lumbricus terrestris), araignée (Evarcha arcuata), abeille domestique (Apis mellifera), renard roux (Vulpes vulpes), chouette effraie (Tyto alba), étoile de mer rouge (Echinaster sepositus), perche (Perca fluviatilis), grillon domestique (Acheta domesticus)

  • Étiquettes (de 1 à 15) scotchées sur la table

  • Un chronomètre


Protocole :

L’expérimentateur-rice demande à l’individu dans un premier temps de classer 15 images d’espèces de taxons variés sur une échelle de 1 à 15. 1 étant l’espèce qu’il ou elle souhaite le plus protéger et 15 l’espèce qu’il ou elle souhaite le moins protéger. Le sujet possède deux minutes pour réaliser l’exercice.  


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La deuxième expérience (du vendredi 2 février 2024) est une version améliorée de la première (du mercredi 31 janvier 2024).


 

Expérience du mercredi 31 janvier 2024 (Exp 1)

Expérience du vendredi 2 février 2024 (Exp 2)

Matériel

- Boîtes en plastique (tupperwares/contenants)

- Tissus pour cacher l’intérieur des boîtes

- Scotch

- Glace

- 3 boîtes de grillons vivants, taille 6

- Œufs de caille (1 par salle)

- Boîtes de gants

- Béchers en verre (1 par salle) pour récupérer l’œuf lors de la manipulation “contrôle”

- Contenants en plastique (2 par salle, 1 par manipulation) pour déposer l’œuf après récupération

- Sacs en plastique noir (2 par salle)

- 4 boîtes de grillons vivants, taille 6 (2 boîtes par manipulation)

- Œufs de caille (2 par salle)

- Boîtes de gants

Protocole

L’expérimentateur-rice demande à l’individu de déplacer un œuf de caille d’une boîte en plastique posée dans une boîte en plastique plus grande et couverte par du tissu pour cacher l’intérieur à un autre contenant. La boîte est couverte par un tissu avant le début de cette manipulation “contrôle”.

 

Ensuite, l’expérimentateur-rice demande au sujet de réaliser le même transfert, mais cette fois-ci avec un grillon vivant à la place de l’œuf. Dans la grande boîte en dessous de la plus petite, il y a de la glace pour endormir le grillon pour éviter qu’il ne s’échappe. La boîte est couverte par un tissu jusqu’au début de la manipulation.

L’expérimentateur-rice demande à l’individu de déplacer un œuf de caille d’un grand bécher à un autre contenant. Le bécher est couvert par un sac plastique noir avant le début de cette manipulation “contrôle”.

 

Ensuite, l’expérimentateur-rice demande au sujet de réaliser le même transfert, mais cette fois-ci l’œuf est caché sous un carton dans une boîte contenant une trentaine de grillons vivants et non endormis. Cette boîte est positionnée dans une boîte en plastique plus grande pour éviter que les grillons s’échappent. La grande boîte est couverte par un sac plastique noir jusqu’au début de la manipulation.

Tableau 1 : Le matériel et le protocole pour chaque expérience

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III.    Résultats 

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On observe une grande  majorité de scores de peur/dégoût ou aversion entre 1 et 2 (Fig. 3b/c/d). Les scores de conservation sont répartis de manière un peu plus homogène, mais la plupart se situent entre 10 et 15 avec un maximum d'observations entre 12 et 14 (Fig. 3a).



Compte rendu pour le greenlab  (3).jpgCompte rendu pour le greenlab  (4).jpgCompte rendu pour le greenlab  (5).jpg
Les effectifs entre les genres  “Homme” et “Femme” sont assez proches et supérieurs à 30 (Fig.4). Une personne “Non-Binaire” a également participé à l’expérience. On retrouve en revanche beaucoup plus de personnes ayant grandi en milieu urbain que rural (Fig.5). Pour ce qui est des domaines d’étude, on retrouve une majorité d’étudiants en écologie et en biologie, chimie ou médecine (Fig. 6).

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Dans les deux cas, la p-value est très inférieure au risque alpha de 5%, il y a donc une corrélation positive entre l’aversion mesurée et le dégoût/la peur déclarée (Fig.7).

On peut donc noter que notre mesure d’aversion s’est avérée plutôt cohérente au regard des scores d’aversion auto-administrés par les participant-e-s. Dans la suite de l’analyse de l'expérience 1, nous choisissons donc de n'étudier que le score d’aversion mesuré. 



Compte rendu pour le greenlab  (7).jpgPour rappel le score de conservation est compris entre 1 et 15, un score de 1 indique que la volonté de conservation pour le grillon est élevée tandis qu’un score de 15 indique que la volonté de conservation est très faible.  Les résultats de la conservation en fonction de l’aversion ne présentent pas de corrélation significative. On note une tendance à obtenir un score de conservation plus élevé (proche de 1)  quand l’aversion est plus forte (Fig. 8). Les résultats de la conservation en fonction de la peur et du dégoût déclarés ne présentaient pas non plus de corrélations significatives.



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Ces boxplots présentent la conservation (fig. 9) ou l’aversion (fig. 10) en fonction de nos facteurs analysés. Pour la conservation, on observe un léger effet “origine” et “genre expérimentateur-rice” avec un rang de conservation moyen plus élevé (on rappelle 1 étant celui qu’on veut le plus conserver) en présence d’un expérimentateur (par rapport à une expérimentatrice) et pour un individu ayant grandi en milieu urbain (par rapport au milieu rural). On observe également un effet du domaine d’étude, mais celui-ci peut être dû aux effectifs inégaux dans chaque groupe. Par exemple, seuls 2 individus sont présents dans le groupe “g” (géosciences). De même pour les boxplots de l’aversion. Malheureusement, les tests statistiques ne nous ont pas permis de conclure sur un effet significatif des facteurs sur nos résultats. 

Lorsque interrogé-e-s sur leurs ressenti pendant les expériences, nombreux-ses participant-e-s ont mentionné une peur minimisée par la présence d’un seul grillon, et précisant que l’impression aurait été plus forte face à des insectes “grouillants”, nombreux, pouvant leur sauter dessus etc. C’est pour cette raison que nous avons décidé de mener une expérience “améliorée” le vendredi 2 février, dont les résultats sont décrits ci-dessous. 

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De manière similaire à la première expérience, on observe une majorité de scores d’aversion, de dégoût ou de peur entre 1 et 2. Nous avons néanmoins obtenu plus d’observations pour les autres scores (Fig. 11b/c/d). On observe une majorité de scores de conservation entre 12 et 14, et les scores sont plus homogènes que ceux pour l’aversion, le dégoût ou la peur (Fig. 11a).

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Les effectifs entre les genres “Homme” et “Femme” sont quasiment équivalents. Une personne “Non-binaire” a participé à l’expérience (Fig. 12a). De manière similaire à l’expérience 1, plus de personnes originaires d’un milieu urbain ont participé à l’expérience (Fig. 12b). Une majorité d’étudiants en écologie  a été interrogée.

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Dans les deux cas, la p-value est très inférieure au risque alpha de 5%, il y a donc une corrélation positive entre l’aversion mesurée et le dégoût/la peur déclarée (Fig.13, Fig. 14).

On peut donc noter que notre mesure d’aversion s’est avérée plutôt cohérente au regard des scores d’aversion auto-administrés par les participant-e-s. Dans la suite de l’analyse de l'expérience 2, nous choisissons donc de n'étudier que le score d’aversion mesuré.


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  Pour rappel le score de conservation est compris entre 1 et 15, un score de 1 indique que la volonté de conservation pour le grillon est élevée tandis qu’un score de 15 indique que la volonté de conservation est très faible.  Les résultats de la conservation en fonction de l’aversion ne présentent pas de corrélation significative (p-value>0.05). On note une tendance à obtenir un score de conservation plus faible (proche de 15) quand l’aversion est plus forte (Fig. 15).Les résultats de la conservation en fonction de la peur et du dégoût déclarés ne présentaient pas non plus de corrélations significatives.

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Comme pour la première expérience, on peut observer une certaine tendance pour le facteur “domaine”, notamment pour la conservation mais sans effet significatif. De même pour les autres facteurs.


Jour d'expérience

Nombre de participants 

Score de conservation moyen

Score aversion moyen

Score peur moyen

Score de dégoût moyen 

Mercredi - Expérience 1

66

10.95

2.67

2.47

2.3

Vendredi - Experience 2

84

11.07

3.79

3.45

3.75

Tableau 2 : Résultats moyens obtenus sur les différentes expériences.  


L’expérience 2 a comporté plus de participants. En moyenne,tous les scores sont plus élevés lors de l’expérience 2 (Tab. 2).

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On observe une différence significative (p-value<0.05) entre les scores d’aversion des deux expériences, avec des scores plus élevés lors de l’expérience 2 (Fig. 18). Aucune différence significative n’est détectée (p-value>0.05) pour les scores de conservation (Fig. 19).

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On observe une différence significative (p-value<0.05) entre les scores de peur (Fig. 20) et de dégoût (Fig. 21)  des deux expériences, avec des scores plus élevés lors de l’expérience 2.

IV.     Discussion et conclusion 

Un des points les plus intéressants de cet exercice méthodologique était de se rendre compte du nombre extrêmement important de biais, potentiels ou effectifs. 


Nous pouvons séparer ceux-ci en deux catégories : les biais expérimentaux potentiels, auxquels nous avions pensés avant l’expérience, et que nous nous sommes appliqués à contrôler ; et les biais expérimentaux sur lesquels nous nous posons toujours des questions, soit parce que nous ne les avions pas anticipés, soit parce que nous doutons de leur importance/impact sur les résultats.

Les biais anticipés transparaissent dans notre protocole.
Mais au vu des résultats non significatifs, alors que la bibliographie sur le sujet nous avait poussé à émettre l’hypothèse d’un effet de l’aversion pour le grillon sur le score de conservation attribué, nous allons nous attarder sur les différents biais expérimentaux qui ont pu influencer nos résultats. 


a.  Le corpus interrogé 

La très grande majorité des sujets (98.8%) de notre expérience sont des étudiant-e-s, en licence, master ou thèse. La totalité des interrogé-e-s pour la deuxième expérience travaillent par ailleurs dans le domaine des sciences (maths, physique, chimie, biologie). Nous nous attendions à un tel corpus sans pouvoir limiter ce biais, pour des raisons de logistique évidentes (manque de temps, manque de moyens, manque de volontaires ou de contacts dans d’autres domaines). 

Dans la même idée, nous avions pensé que l’origine rurale ou urbaine des participant-e-s pourrait avoir une influence (Fukano et Soga, 2023), nous avons donc questionné les participant-e-s sur leur origine (environ 31% d’entre eux-elles se sont déclaré-e-s comme étant d’origine rurale) et au vu des boxplots, il pourrait effectivement y avoir un effet de l’origine sur le score d’aversion du grillon. Nous suspections également un effet du genre sur nos résultats. Non seulement nous avons eu la chance d’avoir quasiment le même nombre de sujets de genre masculin et féminin (42 et 41) mais en plus il n’y a pas d’effet significatif du genre sur le score de conservation (p valeur > 0.05) ni sur le score d’aversion (p valeur > 0.4) .
De nombreuses autres questions auraient été possibles et intéressantes, elles ressortent dans plusieurs articles où du public est impliqué (quel est le rapport du participant à la chasse, à l’écologie par exemple). D’autres biais ont ainsi pu se glisser dans nos données. Par manque de temps et pour faciliter le passage de nombreux participants, nous avons choisi de réaliser un questionnaire très succinct, cependant, cela a pu avoir une influence sur nos résultats. 


b.  L’expérimentateur-rice

 L’expérimentateur-rice, ou son genre, a pu influencer le score de conservation ou d’aversion pour le grillon, il n’en est rien. Les tests de comparaison de moyenne donnent des résultats non significatifs. 


c.  Le déroulé de l’expérience : 

Plusieurs erreurs méthodologiques nous semblent importantes à relever. 

  • Le contrôle : nous avions décidé d’utiliser un œuf de caille à déplacer par le sujet, d’une boîte vide à l’autre, pour vérifier que le sujet était capable de déplacer cet objet, qu’il n’était pas dégoûté ou qu’il refuserait de le faire. Nous pouvions ainsi retirer l’effet “oeuf” pour n’observer que l’effet “grillon”. Cependant au cours du contrôle l'œuf n’était pas positionné sous un carton, alors qu’il l’était dans l’enclos des grillons. Il y avait donc potentiellement un effet “œuf caché”. Nous avions décidé de positionner l'œuf sous un carton également dans le contrôle mais les expérimentateur-rices l’ont oublié dans les premiers réplicats, et ne voulant pas perdre de données, nous avons décidé de continuer comme cela.
    On peut ajouter que nous n’avons pas réellement mesuré l’effet “oeuf” : en effet tous-tes les participant-e-s ont réalisé notre contrôle. Nous avons simplement vérifié qu’ils-elles le faisaient, sans différencier les participant-e-s hésitant-e-s ou lent-e-s. Nous avons donc considéré que l’effet “oeuf” était le même pour tous-tes ce qui n’est pas forcément faux, mais nous ne l’avons pas réellement prouvé. 

  • L’effet blouse : nous savons que la blouse peut avoir un effet convaincant, ou de confiance du sujet envers l’expérimentateur-rice, le rendant plus enclin à effectuer les tâches demandées. Ce biais était contrôlé car tous les expérimentateur-rices ont porté une blouse au cours des expériences. Cependant, cela a pu diminuer la variance de nos résultats, et faire diminuer le score d’aversion mesuré. Plusieurs sujets se sont excusés, et ce à plusieurs reprises, de ne pas vouloir aller chercher l'œuf. Cela peut suggérer que d’autres, hésitants, ont surpassé leur peur pour “faire plaisir” à l’expérimentateur-rice. 

  • L’effet glace : cet effet concerne la première version de notre expérience : certains grillons étaient plus affectés que d’autres par la température artificiellement abaissée. Certains étaient ralentis, d’autres semblaient complètement morts. On peut supposer que cela avait un effet non négligeable sur la manipulation par le sujet. Nous avons décidé d’éliminer ce biais dans la deuxième expérience en demandant au sujet de déplacer un œuf et de ne plus anesthésier les grillons. 

  • L’effet “organisme inconnu” : certains sujets ont manifesté qu’ils ne connaissaient pas les insectes dans la boîte, ou demandaient si ils étaient dangereux. Cela a pu influencer nos résultats, et nous n’avons malheureusement pas pris en compte cette éventualité, pensant que tous reconnaitraient l’animal. 

  • Effet de l’ordre des tâches : nous avons délibérément choisi de faire faire le classement avant la manipulation sur le score d’aversion. Il nous semblait important de ne pas influencer le classement du grillon par la manipulation mais nous ne pouvons pas exclure un effet de déconcentration ou de fatigue, néanmoins mesuré, au vu de la courte durée de l’expérience (dans l’immense majorité inférieur à 5 minutes).

  • Effet intrus : le passage dans la salle a pu influencer les résultats de certains sujets. Des sujets ont par exemple exprimé que “devant mes amis je l’aurai fait”. On ne peut donc pas exclure que des passages d’autres utilisateurs du greenlab aient dérangé ou poussé les sujets à réaliser les tâches demandées. 



Nous proposons ensuite quelques interprétations à nos résultats.
La différence observée entre les deux expériences s’explique probablement par le nombre d’organismes dans la boîte. En effet, une mesure de la peur pour des organismes peut être différente si l’organisme est présenté seul ou en groupe. Par exemple, la présentation d’une image à caractère effrayant d’un loup seul a un moindre impact sur l’état émotionnel qu’une meute de loup de plus de 50 individus (Notaro et Grilli, 2022). Cela a pû être le cas dans notre seconde expérience où nous avons mesuré une aversion plus forte que lors de la première expérience.

La perception des insectes est largement subjective et les facteurs sous-jacents sont peu étudiés. On retrouve des disparités que nous avons retrouvées parmi les participant-e-s de l’expérience, avec des personnes phobiques et d’autres fascinées par ces organismes (Simaika et Samways, 2018).  Une étude dans une université américaine a montré que les insectes étaient perçus par les étudiant-e-s d'une manière similaire aux pathogènes, ce qui expliquerait le dégoût pour ceux-ci. Les caractéristiques précises qui mènent à cette perception restent incertaines. Dans notre expérience, un biais lié à un parcours universitaire en sciences techniques était attendu, dûe à une habitude et une connaissance plus poussée en biologie, mais cela n’a pas été détecté dans l’étude de Lorenz et al, 2014. Nous n’avons pas non plus détecté cet effet dans nos résultats.

Au-delà de comprendre d’où provient l’aversion pour les insectes, les conséquences que celle-ci peut avoir en termes de conservation sont peu étudiées. Les connaissances autour de l’effet de l’entomophobie à l’échelle individuelle sur des situations à plus grande échelle comme la conservation reste pour le moment mal connues, et les solutions pour mitiger cette phobie restent limitées (Simaika et Samways, 2018). 

D’après nos résultats, et malgré tous les biais mentionnés plus haut, l’aversion pour le grillon ne semble pas influencer l’envie de le conserver. Simaika et Samways (2018) mettent en avant la multiplicité des facteurs psychologiques pouvant influencer la perception des insectes. De plus, Cardoso et al. (2011) relèvent que le principal frein à la conservation des invertébrés reste leur méconnaissance par le public et les acteurs pour leur conservation.

Nous avons effectivement remarqué que de nombreux sujets semblaient ne pas prêter attention au grillon lors de l’exercice sur la conservation. Il pourrait être très intéressant de mesurer l’indifférence que le sujet ressent envers le grillon. Il semble que pour nombre des participant-e-s, la position ait été déterminée un peu “par défaut”. Cela influence-t-il l’envie de conservation, et quels sont les facteurs qui pourraient expliquer cette indifférence? Cette question nous apparaît comme la suite logique de nos expérimentations. 

IV. Bibliographie 


CARDOSO, Pedro, ERWIN, Terry L., BORGES, Paulo A. V. et NEW, Tim R. The seven impediments in invertebrate conservation and how to overcome them. Biological Conservation. [en ligne]. 1 novembre 2011. Vol. 144, n° 11, pp. 2647‑2655. [Consulté le 7 février 2024]. DOI 10.1016/j.biocon.2011.07.024


CHOWDHURY, Shawan, ZALUCKI, Myron P., HANSON, Jeffrey O., TIATRAGUL, Sarin, GREEN, David, WATSON, James E. M. et FULLER, Richard A. Three-quarters of insect species are insufficiently represented by protected areas. One Earth. [en ligne]. 17 février 2023. Vol. 6, n° 2, pp. 139‑146. [Consulté le 7 février 2024]. DOI 10.1016/j.oneear.2022.12.003


FUKANO, Yuya et SOGA, Masashi. Evolutionary psychology of entomophobia and its implications for insect conservation. Current Opinion in Insect Science. [en ligne]. 1 octobre 2023. Vol. 59, pp. 101100. [Consulté le 7 février 2024]. DOI 10.1016/j.cois.2023.101100


HALLMANN, Caspar, SORG, Martin, JONGEJANS, Eelke, SIEPEL, Henk, HOFLAND, Nick, SCHWAN, Heinz, STENMANS, Werner, LLER, Andreas, SUMSER, Hubert, HÖRREN, Thomas, GOULSON, Dave et KROON, Hans. More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect biomass in protected areas. PLoS ONE. 18 octobre 2017. Vol. 12, pp. 1‑21. DOI 10.1371/journal.pone.0185809


LORENZ, Amanda R., LIBARKIN, Julie C. et ORDING, Gabriel J. Disgust in response to some arthropods aligns with disgust provoked by pathogens. Global Ecology and Conservation. [en ligne]. 1 décembre 2014. Vol. 2, pp. 248‑254. [Consulté le 12 février 2024]. DOI 10.1016/j.gecco.2014.09.012


MIRALLES, Aurélien, RAYMOND, Michel et LECOINTRE, Guillaume. Empathy and compassion toward other species decrease with evolutionary divergence time. Scientific Reports. [en ligne]. 20 décembre 2019. Vol. 9, n° 1, pp. 19555. [Consulté le 7 février 2024]. DOI 10.1038/s41598-019-56006-9


NOTARO, Sandra et GRILLI, Gianluca. How much Fear? Exploring the Role of Integral Emotions on Stated Preferences for Wildlife Conservation. Environmental Management. [en ligne]. 1 mars 2022. Vol. 69, n° 3, pp. 449‑465. [Consulté le 7 février 2024]. DOI 10.1007/s00267-022-01593-z


SIMAIKA, John P. et SAMWAYS, Michael J. Insect conservation psychology. Journal of Insect Conservation. [en ligne]. 1 août 2018. Vol. 22, n° 3, pp. 635‑642. [Consulté le 7 février 2024]. DOI 10.1007/s10841-018-0047-y.

Annexe 

Annexe 1 : Schéma expérimental pour le classement des organismes.

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